La Sphinge et Cléobule

 Les énigme et les devinettes se fabriquent en éloignant la réponse de la question

 « Ce qui s’inscrit dans l’entrelacs des directions opposées, c’est, au sens propre, une énigme, que les Grecs appellent tantôt ainigma, tantôt grîphos, du même nom qu’un filet de pêche d’une certaine espèce. Car une énigme se tresse comme un panier ou une nasse. Dans un de ses dialogues, Plutarque parle de la Sphinx tressant ses énigmes, ourdissant les questions. »

... un sentiment de stupeur, une sorte d’éblouissement et de vertige, comme en font naître les questions énigmatiques adressées par Socrate à ses interlocuteurs, qui restent embarrassés, ne sachant que dire, réduits à l’aporie et jetés en cet état d’âme résultant d’une égalité de raisonnements contraires. 

Cléobule est une enfant charmante, qui court au-devant de Thalès pour l’embrasser, et dont l’intelligence est si remarquable que son père l’appelle Eumètis à cause de son ingéniosité à résoudre et à poser des énigmes, habileté que Thalès ne sépare d’ailleurs pas de l’intelligence dont la même Cléobuline fait preuve dans le domaine politique. Elle sait tresser les mots ambigus, assembler les contraires et entrelacer les deux sens, mais, réciproquement, sa mètis lui permet de trouver le mot ou la réponse qui vient donner une voix unique au discours polymorphe, et, comme un lien magique, contraindre à l’univocité les aspects les plus déroutants d’une parole insaisissable. »-

M. DÉTIENNE et J.-P. VERNANT, les ruses de l’intelligence, Ed Flammarion, 1974.